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LES BONNES GENS DE PROVINCE

LES CHERCHEURS DE PAIN

C’est le premier de l’an, et tous les chercheurs de pain du pays vont en bande souhaiter la bonne année à la porte des gens aisés. Ici ils reçoivent un sou, là quelques croutons et quelques restes, cadeaux qu’ils estiment peu. Le maire donne deux sous à chacun. Mais c’est à la grille du château qu’il faut les voir s’empresser. Là se tient depuis le matin un domestique de confiance avec un sac de gros sous. Il remet à chaque penailleux cinquante centimes. Les pauvres s’avancent tête nue et échine courbée en poussant des lamentations ou psalmodiant des prières. ils reçoivent leur aumône, remettent leur chapeau, regardent d’un air soupçonneux si l’argent est de bon aloi, et s’en vont le boire au prochain cabaret.

LES MENDIANTS BRETON EN GOGUETTES

Rentrés à la tanière après une bonne tournée, les mendiants s’en donnent. Grâce aux gros sous qu’ils ont récoltés, ils ont du cidre et même de l’eau-de-feu. Vive la joie !
Ne leur reprochons pas leur bamboche; ils n’ont pas si souvent l’occasion de se réjouir.

LA BOURRÉE

Per bien canta, bibo la limousine,
Per bien dansa, bibo les Auvergnats !

Les brocs remplis de gros vins circulent; les robustes montagnards et les fortes filles d’Auvergne dansent en battant du pied et des mains. hibou ! Les danseurs ne sont pas chaussés d’escarpins de bal. Ils frappent le sol avec leurs gros sabots ou des souliers ferrés qui pèsent bien six livres. Vive la joie sans façon et la gaieté rustique ! Vivent les Auvergnats !

LA POLITIQUE AU CABARET

Les importants du village sont en train de causer au cabaret. Ils ne parlent ni du prix des vaches, ni de la récolte, ni de la rentrée des foins. Ils parlent politique – politique locale s’entend. Le gars Tuffery fulmine contre le maire, et prétend qu’il ne faut pas le renommer. C’est un ci… c’est un ça… Il ne voudrait pas qu’on lui accordât un sou pour les chemins qui sont utiles aux autres; mais il ferait bien payer ceux qui desservent ses propriétés, dût la commune en être ruinée. – Le vieux Marigou interrompt la philippique en faisant observer que le maire est le plus riche de la commune, et que de tout temps c’est toujours le plus riche qui a été maire. Mais Tuffery l’envoie promener. Il voudrait voir un simple journalier porter l’écharpe plutôt qu’un richard qui pense toujours à ses intérêts et jamais à) ceux de ses administrés. – Tuffery est un homme à des idées avancées.

AGITATION ÉLECTORALE

Il y a grande agitation dans le bourg, aujourd’hui dimanche. On discute, on pérore sur place, dans la rue, dans les cabarets. On ne voit partout que gens qui font de grands gestes. C’est que c’est un jour d’élection : on réélit le conseil municipal. Vous pensez !

LE CHIFFONNIER DE CAMPAGNE

Il va de canton en canton et reste plusieurs mois en toute. Il ne peut donc se contenter d’une simple hotte pour serrer son butin. il lui faut un cheval. Quelquefois il en aura même deux, ou deux mules, maigres il est vrai, et mal en point. C’est d’ailleurs un commerçant; il achète les chiffons au lieu de les ramasser comme le fait son confrère de Paris. par exemple, ce n’est pont avec des millionnaires qu’il fait des affaires. Non, c’est dans les plus humbles villages et aux seuils les plus misérables qu’il s’arrête. Parfois même là, on le repousse avec fierté.
– Bonhomme, allez plus loin, les haillons ne sont point ici.
– Je repasserai quand ils y seront.

LES LAVANDIÈRES

Il fait beau; un petit vent frais agite le feuillage des saules; la rivière coule doucement, et les lavandières font grand bruit de la langue et du battoir. Hardi, mes colères ! tapez ferme sur le linge et doucement, s’il est possible, sur la réputation du prochain.

LA FILLE ACCUSÉE

La mère Grippard, la vieille épicière du bourg, est allée dénoncer à la justice sa servante, qu’elle accuse de lui avoir pris de l’argent dans son comptoir. Les gendarmes sont venus chercher la malheureuse fille et l’emmènent en prison. Toute la population de la localité s’est mise aux portes et aux fenêtres pour la voir passer. la vieille Grippard lui fait la conduite jusqu’aux confins de la bourgade en l’écrasant d’injures. Est-il bien sûr que la fille soit coupable ? Beaucoup de gens en doutent. L’épicière, vieille avare qui tondrait un œuf, est bien capable de lancer une dénonciation sans être bien sûre de ce qu’elle avance. Va, pauvre fille, quand bien même les gens de justice reconnaîtraient ton innocence, tu n’oublieras jamais la promenade que tu fais aujourd’hui entre deux gendarmes

LA MI-CARÊME AU HAMEAU

A la mi-carême, il y a partout un regain de carnaval. Cinq ou six farceurs affublés de manière grotesque gambadent dans la rue du village. L’un s’est accoutré d’habits de femme. un autre, orné d’une chemise passée par-dessus le pantalon et d’un bonnet de coton, porte un pot de chambre en sautoir. Un autre, travesti en espèce d’astrologue, porte sur la figure un masque qui a la forme d’un groin de cochon.
M. le maire sourit de ces drôleries et prétend qu’il faut bien, dans l’existence, donner quelques instants à la fantaisie. mais M. le curé ne voit pas d’un bon œil ces momeries renouvelées des saturnales antiques. Quant au bon populaire, il admire avec candeur.

UN BAPTÊME

La sage-femme campagnarde en tête chargée du poupon bien empaqueté, le père ensuite, puis le parrain et la marraine, et enfin le bonhomme grand-père; – voilà dans quel ordre professionnel on a quitté la ferme. Le long du chemin, à la traversée des hameaux, le cortège a entraîné à sa suite une escorte de gamines et de gamins dépenaillés et pieds nus. Ils suivront les gens du baptême jusqu’au bout et se mêleront à la marmaille de la bourgade pour les attendre à la sortie de l’église. Il faudra alors entendre tout ce petit monde invectiver le parrain s’il ne se signaler pas par quelque générosité. Mais qu’ils ne craignent rien – le brave gars a de l’honneur et ne voudrait pas se faire crier à la crasse. il a mis en réserve quelques poignées de gros sous, pour jeter à la populace de bambins.

VILLAGE DE SABOTIERS

C’est un hameau de cabanes en branches d’arbres construit en pleine forêt, au milieu d’une clairière. Il y a là une population d’une centaine d’âmes au moins. Tous ces gens-là font des sabots pour le compte d’un patron aussi agreste que ses ouvriers et habitant une hutte pareille aux autres.
On chercherait vainement une école ou une église dans ces espèces de bourgades des bois. – Mais on y trouve souvent un débit d’eau-de-vie tenu parfois par le patron susmentionné, qui, de cette façon, rempoche le dimanche, en grande partie, ce qu’il a déboursé le samedi.

LE CHAMEAU

Les habitants de la bourgade ci-dessus représentée n’en sont plus à prendre la fuite, mais ils sont fortement émotionnés par la vue de la bête à deux bosses. une nuée de galopins forme le cercle autour du monstre, mais à distance respectueuse. les chiens n’aboient que d’épouvante, et plus d’une mère prudente vient saisir son môme au milieu de la cohue enfantine et l’entraîner au loin. Cependant le saltimbanque détaille d’une voix rauque l’histoire naturelle du chameau, tandis que madame exécute un lugubre solo de grosse caisse et de cimbales.

L’OURS MARTIN

– Faites le beau, Martin. Faites comme votre père et votre mère sur les montagnes des Pyrénées. Tourna-vira.
Martin, ours de grande taille, fait montre de ses talents. L’épouse du montreur accompagne les exercices de l’animal à l’aide des accords d’un orgue de Barbarie.
Cette musique évoque d’antique souvenirs dans l’esprit de quelques vieux rentiers de la localité. Elle les fait penser au procès Fualdès.

un braconnier

Braconnier novice et peu malin, Moussu s’est fait pincer par Grinchard, le nouveau garde champêtre, au moment où il venait de tuer un lièvre. Il a essayé de corrompre l’agent de l’autorité en lui offrant une pièce de deux francs. Ça aurait pris avec l’ancien garde, bonhomme accommodant. mais Grinchard, vieux soldat, autoritaire par tempérament, préfère à toute pièce blanche le plaisir de rentrer triomphalement au village en conduisant son contrevenant devant M. le maire.

NOCES DE MENDIANTS

Ceux-là n’ont pas peur de se mettre dans la misère en se mariant. Ils s’en vont à l’église en cérémonie et au son de la musique, tout comme les autres. le musicien est un aveugle racleur de violon et marchand de complaintes.
Les bourgeois du bourg considèrent le cortège avec des sentiments divers. l’un trouve que ces gens-là ont trot de travailler à augmenter le nombre de prolétaires. L’autre prétend qu’il aime mieux les voir s’unir régulièrement que vivre dans un regrettable libertinage.

LA COUR DE FERME

Les poules picorent et gloussent, les canards barbotent, les oies se promènent gravement, battent de l’aile et posent par moments leur cri aigu et nasillard. La fermière donne la brasée à ses jeunes gorets; Jeannette va chercher une seiée d’eau; le charretier fait tourner le moulin à pommes; le fermier fait gouter à un voisin le cidre nouveau. A tout cela ajoutez le fin ciel gris de Bretagne et les coteaux lointains doucement jaunis par l’automne, et vous aurez une idée de l’aspect d’une ferme du pays Gallo à l’époque des derniers beaux jours.

LE RETOUR DU MARCHÉ

En hiver,, quand il neige, lorsque la route est couverte de verglas, lorsqu’il faut patauger dans une boue épaisse, revenir du marché manque de charme. Mais dans la belle saison, c’est autre chose. La chaleur est tombée, la soirée est belle, les paysans cheminent tranquillement. Des êtres rêveurs pourraient être impressionnés par la beauté du paysage, mais les paysans le sont davantage par les agréments des cabarets échelonnés le long du chemin, auxquels ils ne manquent jamais de faire station.

LE PORTRAIT DE PISTAU

Je vous réponds que Pistau est joliment sérieux en ce moment, et qu’il ne broncherait pas pour un coup de canon. Pensez donc, on est en train de lui faire sa pourtraicture. Il était là, avec les autres galopins du village, à regarder travailler un peintre, lorsque celui-ci a dit à la marmaille :
– Voyons, qui veut que je lui tire un portrait dans mon tableau ? Tiens, toi, va te planter là-bas et ne bouge pas.
Le bruit s’est répandu que le dessineux fait la ressemblance du gas Pistau. Aussi n’est-ce pas seulement les marmots qui s’intéressent au travail du monsieur. Trois notables habitants du bourg sont venus se planter derrière l’artiste et regardent son pinceau courir sur la toile. Ils sont stupéfaits. Dans un coin du paysage posé sur le chevalet, on voit Pistau déjà très-ressemblant avec son vieux gilet à manches, son pantalon rapiécé et sa vieille casquette sans visière, tel qu’on le voit tous les jours laminant à travers le hameau.

LA FÊTE DE L’INSTITUTEUR

C’est aujourd’hui la fête de l’instituteur. Les écoliers sont entrés en classe d’un air cérémonieux. le plus capable de la bande (ce n’est pas le plus grand) déroulé un grand papier, et s’avançant d’un air grave vers la chaire du bon magister, il lui lit un beau compliment qu’il a rédigé. Tous les camarades, garçons et filles, rangés derrière l’orateur, s’apprêtent à offrir les beaux cadeaux que leurs parents leur ont donnés pour présenter à leur cher maître. L’un tient un jambon,, l’autre deux bouteilles de cidre bouché. les offrandes sont choisies et variées : – oie grasse, canard, chapelet de saucissons, paquet de chandelles, pot de raisinés douzaine d’œufs, etc., etc. Le bon maître sourit à ses élèves, et sa digne épouse, qui reluqye les victuailles, semble très-satisfaite.

LA POULE AU POT

Jérôme et son monde vont bien se régaler. C’est jour de fête aujourd’hui, et l’on a mis la poule au pot. Henri IV, soit content ! La bonne soupe de bouillon de poule vient d’être mangée, et la ménagère pose ne ce moment sur la table la volaille bien cuite flanquée d’un gros morceau de lard.
Moment solennel ! La petite Jeannette se fourre la cuiller dans la bouche, et le petit Pierre mord le bord de son assiette. En ce moment, attirés par le fumet, une maigre mendiante du village et son gamin affamé montrent leur nez à la porte. Ah ! pauvres gens, allez ailleurs ! De ce qu’on mange ici on n’en a pas trop; on n’en a pas pour vous. C’est trop bon.

BUVEURS DE CIDRE

Le bon cidre de Mortagne
Est en tous lieux cité.

Il pochade la campagne,
Il éméché la cité.

A le boire, chacun gagne
En sociabilité.

LES OIES

Marchant lentement en se dandinant d’un air grave, les oies ont quitté la ferme pour aller picorer l’herbe et prendre leurs ébats dans un clos voisin. Il leur faut cela même l’hiver lorsque le froid n’est pas trop rigoureux. Ces bêtes aiment à s’accouder sur le ventre au milieu d’un champ, à s’éplucher, à fouiller du bec leur blanc duvet, à battre des ailes en poussant leur cri strident. Ce n’est pas d’ailleurs un troupeau bien difficile à garder. Elles restent volontiers en tas à la même place, s’écartant peu les unes des autres. Leurs atours sont simplement les petits de la ferme. L’aînée, fillette de dix à onze ans, flanquée du petit frère et de la petite sœur, surveille tout en tricotant. Cela suffit.

LA MORT DE DOM POURCEAU

Il n’est, dit-on, utile qu’après sa mort. L’instant où il va devenir utile est proche. On ne l’a pas nourri pour rien. Désagréable fin de vie toute remplie par la flânerie et la gourmandise. Garroté comme il l’est et tenu par trois vigoureux gaillards, il faudra qu’il subisse son sort. Il n’a pas d’ailleurs de compassion à attendre. Ses bourreaux sont pleins d’enthousiasme et sourient d’avance à la pensée des saucisses et boudins, sans parler des grands quartiers de lard que l’on mettre au saloir, et des jambons qui fumeront dans la cheminée.

SPECTACLE PLEIN D’INTÉRÊT

Le cochon vient d’être saigné, éventré, échaudé, raclé, etc. Il est pendu par les pieds de derrière contre la porte de la maison. Les voisins admirent : « Est-il gras ! En a-t-il donné du sang ! » On donne des conseils à la ménagère pour la confection du boudin. L’aîné des enfants s’est emparé de la vessie et souffle dedans à pleins poumons; les plus petits dansent de joie. Pour eux, le jour où l’on tue le cochon est le jour le plus solennel de l’année.

LA BOUDINAILLE

Le plus grand jour de l’année, pour les pauvres gens, c’est sans contredit celui où ils tuent leur cochon. Ce jour-là, l’abondance et la joie règnent dans la maison. Groupée autour de la ménagère qui confectionne la boudinaille, la famille entière suit avec le plus vif intérêt tous les détails de l’opération.
– les voisins eux-mêmes viennent jeter à la fenêtre un coup d’œil furtif. Ils auront aussi leur part de ces victuailles, – c’est la coutume.

LA GELÉE

Il fait un froid sec. Plus une feuille aux arbres. La neige couvre le sol, et les toits du village sont tout blanc. La rivière est gelée. Quel bon temps pour les gamins ! On n’a pas de patins comme les gens qui vont s’ébattre sur le lac du bois de Boulogne; mais comme on s’amuse à glisser sur la glace ! Quant à se rendre à l’école, on n’y pense guère. Il faut que le pauvre frère Hilarion vienne en personne arracher ses écoliers aux plaisirs de la glissade. Ce n’est pas sans peine d’ailleurs qu’il y parvient.

LA MESSE DE MINUIT

On va célébrer la messe de minuit – non dans une cathédrale ni dans une église de grosse paroisse – mais bien dans une humble chapelle isolée. Des deux ou trois hameaux voisins, de bons chrétiens, tous pauvres gens de campagne, sont accourus vers la lande où s’élève le sanctuaire rustique entouré de quelques chaumines. Le temple ressemble bien à l’étable où naquit le Sauveur, et les fidèles ressemblent assez aux bergers qui vibrent l’adorer.

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